Orange défend la nécessité impérieuse d’augmenter le prix du cuivre, pomme de discorde avec Free, SFR et Bouygues Telecom
La transition vers la fibre et le démantèlement du réseau cuivre ne sera pas un long fleuve tranquille. Sur les rives, l’opérateur historique et ses rivaux s’opposent sur le prix du dégroupage. Explications sur la position d’Orange.
La régulation des marchés fixes sur la période 2020-2023, un défi de grande ampleur pour l’Arcep qui ne sera pas de tout repos, en particulier sur le prix du dégroupage sur le réseau cuivre de l’opérateur historique. Deux camps aujourd’hui s’opposent avec un arbitre penchant à première vue en faveur de l’une des deux équipes. D’un côté, Orange pousse depuis fin 2018 pour une augmentation du prix cuivre. Face à lui, Free, SFR et Bouygues militent pour une baisse dans les zones fibrées, voire une stabilisation du prix contre la fermeture de la commercialisation de millions de prises ADSL. Au milieu, l’Arcep doit quant à elle trancher.
Orange face à Free, SFR et Bouygues Telecom sur le prix du dégroupage
Pomme de discorde, le tarif du dégroupage sera “un instrument de pilotage” a indiqué en février son président Sébastien Soriano avant d’envoyer un message à destination de l’opérateur historique : “plus on baisse le prix du cuivre, plus on incite à sa fermeture”, a t-il ajouté. De quoi faire grincer des dents l’intéressé : “Ce raisonnement me surprend. Je ne comprends pas exactement le rationnel de cette approche”, a très rapidement rétorqué le PDG du FAI, Stéphane Richard.
Orange n’en démord pas, une baisse du prix du dégroupage, s’élevant aujourd’hui à 9,51€ par mois et par ligne, inciterait les opérateurs à vendre de l’ADSL au détriment de la fibre. Peu probable toutefois à l’heure où ces derniers investissent à tour de bras sur la fibre et mettent les bouchées doubles pour migrer leurs abonnés vers le FTTH.
Il est donc aujourd’hui impératif de trouver une issue à cet imbroglio surtout qu’Orange a déjà acté le démantèlement de son réseau cuivre d’ici 2030. L’Arcep compte bien jouer un rôle de garant autour de la transition vers la fibre, sans laisser sur le carreau les utilisateurs tout en permettant au jeu concurrentiel de continuer sur sa lancée. Mais cela ne sera pas une mince affaire. Selon la police des télécoms , Orange en position de quasi-monopole sur l’ADSL pourrait être incité “à ne pas faire la bascule cuivre/fibre aussi vite qu’annoncé pour continuer à valoriser son réseau de cuivre. Cela aurait un surcoût qui serait payé par les opérateurs alternatifs et, in fine, le consommateur”, a déclaré en début d’année Sébastien Soriano.
Pour faire la lumière sur les intentions et volontés de chacun, l’Arcep a lancé le 6 février une consultation sur son projet d’évolution de la régulation pour 2020-2023 dans le cadre de la préparation des analyses de marchés fixes. Orange, Free, SFR et Bouygues ainsi que les opérateurs d’infrastructure y ont répondu.
Pourquoi Orange souhaite une augmentation du prix du cuivre pour les opérateurs tiers ?
Dans sa réponse dévoilée la semaine dernière, Orange ne change pas de fusil d’épaule et insiste : “le tarif du dégroupage doit augmenter progressivement au cours du prochain cycle afin de permettre une juste rémunération des coûts supportés par Orange dans la perspective de la migration du cuivre vers la fibre.”
Plus concrètement, l’opérateur historique explique que le coût par accès dégroupé hors imposition forfaitaire des entreprises de réseaux, se décompose en trois coûts. Le premier, dit de “patrimoine” est le plus important (câbles cuivre, répartiteurs et infrastructures de génie civil), le second “d’exploitation” et le troisième “d’intervention” (SAV). Sur la base de ses projections, chacun de ces coûts va augmenter progressivement au cours des trois prochaines années.
Tout d’abord, la baisse du parc d’accès cuivre (ADSL, VDSL) en service, va selon lui impacter directement le coût moyen de patrimoine et d’exploitation, c’est aux yeux d’Orange, le principal effet conduisant à une hausse du prix du dégroupage. Ajouté à cela, “la déformation du parc, avec une plus forte pondération des zones rurales consécutive à la migration du cuivre vers la fibre”, fera grimper en parallèle le coût moyen d’exploitation et d’intervention SAV, poursuit Orange. L’opérateur met enfin en exergue une “pression de plus en plus forte sur le maintien de la qualité de service, couplée à une augmentation des événements météorologiques particulièrement violents”, pour expliquer la nécessité d’augmenter le prix du dégroupage.
Dans sa mission de délégataire du service universel, Orange prévoit d’optimiser son réseau cuivre en France pendant son démantèlement progressif. Ses dépenses de maintenance préventive sont passées de 2,80 à 3,60 euros par ligne entre 2014 et 2018 et à plus de 4 euros en 2019. L’ex-France Télécom a effectué plus de 500 000 interventions par mois par an et cela a effectivement un coût. Au total, le réseau cuivre représente 500 millions d’euros d’entretien par an d’après Stéphane Richard. Le montant versé par les opérateurs sur le dégroupage avoisinerait 1,5 milliard d’euros, les abonnements à une ligne téléphonique rapporteraient autant à Orange. Si cela semble suffisant pour entretenir un réseau vétuste dont l’extinction approche de plus en plus, l’opérateur historique assure que l’Arcep “n’est pas fondée à forcer Orange à fournir le dégroupage à un tarif qui ne lui permettrait pas de recouvrer ses coûts”.
“Ce n’est pas au cuivre et donc à Orange de venir subventionner la fibre ” de Free, SFR et Bouygues
Au contraire, ne pas réévaluer le tarif du dégroupage pour permettre à Orange une juste rémunération de ses coûts “conduirait en pratique à améliorer artificiellement le modèle économique des opérateurs tiers” à son détriment, explique le FAI. Et de prévenir : “ce n’est pas au cuivre et donc à Orange de venir subventionner la fibre des opérateurs tiers.” Les pratiques tarifaires de ses concurrents sur le marché grand public sont selon lui en contradiction avec leurs récentes prises de position publiques quant au fait que le tarif du dégroupage total devrait baisser pour leur permettre d’appréhender leurs investissements dans la fibre : “ils continuent pourtant à pratiquer des promotions agressives sur les offres DSL (avec une baisse de l’ordre de 10 à 15 € sur les prix catalogue, pendant une période de 12 mois)”, constate Orange.
Par ailleurs, l’opérateur fait remarquer son rôle moteur depuis 2006 dans le déploiement de la fibre et de son choix sans attendre la consultation publique de l’Arcep de l’été 2019 pour engager des travaux sur le sujet de la fermeture du réseau de boucle locale cuivre, lequel “constitue un projet majeur pour le groupe”.
Non, Orange n’a pas l’intention de retarder la fermeture de son réseau cuivre pour s’en mettre plein les poches
En réponse à plusieurs attaques émanant de Free et Bouygues Telecom, Orange tient donc à mettre les points sur les i. Il n’ a aucune raison de retarder la bascule vers la fibre pour valoriser son réseau cuivre et s’en mettre plein les poches. “Nous sommes résolument déterminés à fermer le réseau cuivre d’ici 2030, avec les premières fermetures techniques en 2023”, assure l’ex-France Télécom. Le groupe va notamment mener des expérimentations dans plusieurs communes d’Île-de-France dès cette année, afin notamment “d’éprouver les processus opérationnels envisagés avec les opérateurs clients de ses offres de gros sur cuivre.” Pour mener à bien le démantèlement de son réseau cuivre, Orange souhaiterait en revanche que certains de ses rivaux aient le même empressement engagé que lui dans la migration de leur parc ADSL vers le FttH au niveau des zones fibrées. Hors, ce n’est pas le cas aujourd’hui, la dynamique n’est pas la même.
C’est aujourd’hui une évidence pour l’Arcep, avant d’éteindre une bonne fois pour toute le réseau cuivre, il faudra donc s’assurer que tous les clients ADSL aient bien tous un accès à des offres fibre. Pour cela, il faudra que tous les opérateurs jouent le jeu et s’assurer des bonnes incitations.