Interview Univers Freebox : une signature de Free avec TDF et SFR Collectivités est “imaginable d’ici la fin de l’année” selon le président d’InfraNum
Calendrier prévisionnel du déploiement de la fibre optique en France, solutions alternatives pour desservir les dernières zones du territoire en très haut débit, financement et situation de Free. À l’occasion d’une interview avec Étienne Dugas, président d’InfraNum, fédération regroupant les principaux acteurs du très haut débit en France, Univers Freebox fait sur le point sur le déploiement du très haut débit en France.
Univers Freebox : L’Internet très haut débit via la FTTH (fibre jusqu’à l’abonné) concerne les particuliers à l’heure de la dématérialisation des services de l’administration et des contenus. Avez-vous d’autres exemples des bénéfices de cette hausse des débits, des exemples auxquels on ne penserait pas spontanément ?
Étienne Dugas : Bien sûr. Nous sommes à l’aube d’une approche radicalement nouvelle en matière de gestion et d’information sur nos territoires. S’il y a quelques exemples concrets et remarquables de smart territoires, le potentiel d’applications et d’usages est énorme, et je présume que nous ne sommes pas au bout de nos surprises…
UF : En parlant de hausse des débits, a-t-on une grosse marge de progression pour les 5 ou 10 années à venir ?
Oui, car la capacité de la fibre étant quasiment infinie, chaque longueur d’onde, elles-mêmes déclinées en très grand nombre, peut sur une même fibre véhiculer des débits colossaux. En débit réel, la capacité du réseau dépend au final des équipements de terminaison. Ceux-ci progressent technologiquement tous les jours.
UF : Toujours à propos de débits, Free a été le premier à annoncer de la fibre 10 Gbit/s avec sa Freebox Delta lancée fin 2018. Pensez-vous que les concurrents vont lui emboîter le pas rapidement ?
Il est certain que les débits vont continuer à augmenter, non seulement parce que les usagers vont consommer de plus en plus d’applications et parce que les applications vont en consommer de plus en plus. Ce n’est donc pas une question de capacité, mais de marketing des offres.
UF : 10 Gbit/s, c’est un beau chiffre en termes de communication. Mais quels usages pour un tel débit à l’échelle d’un foyer ?
Quand un foyer dispose de plusieurs équipements et que chacun de ses membres veut consommer un Game Of Thrones, un dessin animé et assurer une conversation Skype/Facetime dans de bonnes conditions, et en même temps, on arrive vite à 10 Gbit/s. Demain, la 4K nécessitera des débits plus importants. Rappelons que c’est la vidéo qui consomme la bande passante.
UF : Selon les prévisions du secteur, 80 % des foyers français auront accès à la fibre optique en 2022. Où en est le calendrier ?
La filière est au rendez-vous du plan France Très Haut Débit. Il a fallu quelques années pour qu’elle s’industrialise, mais nous y sommes. À fin 2018, nous avions construit 37 % des prises prévisionnées à terme. En 2022, nous sommes désormais certains que nous aurons atteint collectivement l’objectif de plus de 80 % des locaux fibrés dans notre pays.
UF : Combien de lignes FTTH ont été construites aujourd’hui ? Combien devront être construites d’ici 2022 et à quel rythme ?
En 2018, nous avons construit 3,2 millions de prises pour un cumul en fin d’année à 13,6 millions de prises. Le cap des 4 millions de prises FTTH produites par an devrait être franchi cette année (progression de 2,6 à 4,3 millions en 2 ans). En ce moment, la filière construit 15 000 prises par jour ouvré. C’est colossal.
UF : Pouvez-vous nous en dire plus sur le chemin qui restera à parcourir pour atteindre les 100 % ? Quels freins avez-vous identifiés qui pourraient empêcher les opérateurs d’atteindre cet objectif ?
Tout d’abord, il faut reconnaître que la volonté du gouvernement est réelle et s’est traduite dans les faits par une avancée majeure avec l’adoption de la loi ELAN. Celle-ci permet de traiter la majeure partie des freins au déploiement qui existaient auparavant (lourdeurs administratives, contraintes de copropriétés, etc.).
Beaucoup de chemin parcouru également dans notre croisade pour faire connaître les métiers de la filière et aider les industriels à recruter massivement les compétences dont ils ont besoin pour tenir les objectifs. Si 2019 doit être une année record avec 6 400 nouveaux collaborateurs à intégrer, soit 2,5 fois plus que l’an dernier, les prévisions sont optimistes avec des taux de remplissage dans les centres de formation encore jamais égalés.
Le 3e frein majeur, mais dont l’issue est moins avancée que pour les deux précédents, est celui du financement du « reste à faire » après 2022. Compte-tenu des dernières signatures de RIP et dans l’hypothèse où toutes les demandes AMEL actuelles trouvent une réponse favorable, le nombre de prises à connecter en THD au-delà de 2022 est estimé à 6,4 millions. Parmi elles, au moins 3 n’ont pas encore trouvé de financement. Ces prises, les plus difficiles à raccorder, pourrait coûter 5,715 milliards d’euros, dont 800 millions de fonds d’État. Sachant de surcroît que les déploiements ne s’arrêteront pas à cette date (une densification est à prévoir pour répondre aux nouvelles implantations), InfraNum et l’Avicca ne cessent d’appeler à une réouverture prioritaire du guichet de financement des RIP.
UF : Il a récemment été évoqué la nécessité d’une enveloppe supplémentaire de 800 millions d’euros pour déployer les dernières prises (les 3 millions les plus complexes et les plus coûteuses). Comment expliquer le coût inférieur aux 1,2 à 1,5 milliard estimés précédemment ?
Effectivement, depuis les premières estimations gouvernementales réalisées à l’époque par le ministre Jacques Mézard, les données ont changé. L’introduction du dispositif AMEL permet de reporter une partie de l’effort de financement initial par les opérateurs privés, avec néanmoins une perte de propriété du réseau pour les collectivités locales ayant fait ce choix. Et dans le même temps, l’industrialisation du déploiement a naturellement généré des économies.
UF : D’ailleurs, quelles solutions existent-ils pour les foyers les plus compliquées à desservir ?
D’après nos estimations, au-delà de 2022, 2,2 millions de foyers auront besoin de mix technologique. Seuls le THD radio et le satellite permettront de leur apporter du très haut débit.
UF : Pensez-vous que les réseaux THD radio, pour laquelle l’ARCEP a récemment lancé une consultation publique, en vue d’identifier les projets bien avancés et de prolonger son guichet, pourrait suffire à compléter la technologie fibre optique ?
Oui, mais la prolongation du guichet ne se fera que pour les collectivités qui auront un projet bien avancé, sachant que l’Arcep a confirmé avoir l’intention de clôturer le dépôt des dossiers AMEL au 15 juin, c’est demain.
UF : Au regard de la situation actuelle et des prévisions, peut-on encore dire que la France est en retard en matière d’Internet très haut débit ?
La France est le pays qui déploie actuellement, ramené à sa population, le plus de prises au monde. Nous serons en 2025 le pays le plus équipé du monde, exception faite des cités états bien entendu.
Cette expertise développée collectivement et par toute une filière doit être mise au service d’autres déploiements nationaux. Cela permettra également de pérenniser notre filière. C’est un enjeu pour lequel InfraNum déploie beaucoup d’énergie et entend s’appuyer sur l’État et l’outil Comité Stratégique de Filière (CSF).
UF : Free fait-il, selon vous, partie des bons élèves en matière de déploiement commercialisation du très haut débit ?
Free est commercialement très efficace dans son arrivée sur les RIP parce qu’il sait dédier les ressources nécessaires, directement sur le terrain et avec la bonne approche humaine (souplesse et forte attention portée aux clients, pour les prises de rdv par exemple…).
UF : Free n’a pas encore signé avec les opérateurs d’infrastructures comme par exemple TDF et SFR Collectivités pour proposer ses offres fibre optique. Quand pensez-vous qu’un accord pourrait être signé ?
Je ne vois pas pourquoi ça ne se ferait pas. Et la fin de l’année me paraît imaginable.
UF : Une question enfin que peuvent se poser les abonnés : comment expliquer le délai entre la signature de Free avec un opérateur d’infrastructures et son arrivée au compte-gouttes sur ses RIP ? Est-ce pareil avec les autres opérateurs ?
Tous les opérateurs sont confrontés aux mêmes délais. La signature ne vaut pas mise en place des process. Elle indique que les conditions d’interfaçage des systèmes d’Information sont techniquement faisables et en cours d’installation. Toutefois, reste à mettre "la machine en route", et à assurer le marketing qui en découle.