SFR & Numéricable : le plus gros LBO de France
"Ce n’est pas la petite bête qui va manger la grosse", dit-on à propos de l’hypothétique rachat de SFR par Numéricable. Depuis l’annonce, la question se pose, et reste en suspend : comment l’opérateur mobile peut être racheté par une entreprise bien plus petite ?
Valorisé à 15 milliards d’euros dans l’opération, SFR pèse presque quatre fois plus que Numéricable, qui lui vaut 4 milliards en bourse (sans oublier ses 2,5 milliards de dette). Niveau chiffre d’affaires, c’est aussi un gouffre : SFR est huit fois plus gros que Numéricable (10.2 milliards d’euros contre 1,3 pour 2013).
La volonté de Numéricable parait soudain ambitieuse – voire prétentieuse. C’était sans compter le LBO. Littéralement "rachat par effet de levier" (leverage buy out), le LBO est un montage financier imaginé dans les années 80 aux Etats-Unis. Cette opération permet de racheter une entreprise avec très peu d’argent, mais en créant de grosses dettes. Frederic Bos, associé de la banque d’affaires Acetis Finance connaît bien le phénomène : "aujourd’hui, l’acquéreur peut mettre seulement un quart de cash et trois quarts de dettes. Mais, lors de la crise de 2008, il fallait apporter la moitié en cash". Dans le cas de Numéricable, il lui faudra donc allonger 3 milliards d’euros en cash, auquel s’ajouteront 8 milliards en dette.
Évidemment, l’acquéreur paye ensuite des intérêts sur son énorme dette, mais là est l’astuce. Les intérêts seront payés par les bénéfices de l’entreprise rachetée, SFR le cas présent. Le LBO ne peut donc fonctionner que sur des entreprises ayant d’importants bénéfices réguliers.
Coïncidence pour Numéricable, le principal actionnaire qui est aussi président du fonds d’investissement Altice n’est autre que Patrick Drahi, modestement surnommé "le roi du LBO". Le conquérant aurait à lui tout seul monté sept LBO au total, chacun plus corpulent que le précèdent : de Altice One à Altice VII, pour culminer à 3,6 milliards de dettes sur Altice VII.
Sur le plan pratique, la dette créée est constitué de crédits bancaires, qui sont notés par les agences de notations. En l’état, Numéricable et Altice sont notés B1 chez Moody’s, soit en catégorie spéculative, quatre paliers en dessous de la catégorie d’investissement. SFR de son côté, a 8 milliards de dettes, soit une équivalence B1 chez Moody’s. La solution serait de mettre SFR en bourse afin de réduire cette dette, comme le laissait entendre le directeur financier de Vivendi le 26 juillet dernier : "nous mettrons un niveau de dette raisonnable sur SFR, afin d’être sûrs que SFR puisse rester en catégorie d’investissement. La catégorie d’investissement est clairement un plancher absolu".
L’autre problème étant les conséquences sociales. Le LBO impliquant d’augmenter la rentabilité, il pourrait entrainer des réductions d’effectif. Cet aspect angoissant pour le gouvernement ne semble pas troubler Numéricable plus que ça. Le câblo-opérateur promet qu’il n’y aura aucun licenciement s’il rachète SFR, et qu’il en fera un grand acteur du câble.
Les représentants du personnel de SFR, inquiets eux aussi, ont commandé une étude au cabinet Sextant, qui se demande si "le nouveau groupe aura les moyens de supporter un tel niveau de dette, sans avoir à recourir à de nouveaux plans de restructuration. Rien n’est moins sûr compte tenu de l’incertitude qui pèse sur l’avenir du marché des télécoms".
Quoiqu’il en soit, ces inquiétudes sont totalement justifiées : les effectifs Numéricable partant de 2,581 salariés en 2006 sont tombés à 1,133 en 2011. La faute à deux plans de sauvegarde de l’emploi, faisant perdre 316, puis 823 postes. Sans compter les centres d’appels tous délocalisés sans exception en Tunisie et au Maroc.
Source : BFMTV