L’autorité de la concurrence prend note des engagements d’Orange pour rendre plus transparente le volet de l’interconnexion mais elle organise cependant « un test de marché ».
Cette démarche fait suite à la plainte déposé par Cogent qui reprochait notamment à l’opérateur historique « d’abuser de sa position dominante en remettant en cause le système de troc existant entre opérateurs de transit au travers des accords de peering ».
L’interconnexion sur Internet :
L’affaire concerne le marché de l’interconnexion sur Internet, qui fait schématiquement intervenir trois types d’acteurs : les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les prestataires de service de la société d’information (PSI) et des intermédiaires appelés opérateurs de transit :
Les FAI et les PSI souscrivent à des prestations de transit auprès d’un ou plusieurs opérateurs de transit pour se connecter à l’Internet mondial.
Les opérateurs de transit sont interconnectés entre eux pour mettre en relation leurs clients PSI et FAI respectifs. Ces interconnexions peuvent se faire dans le cadre d’accords de « peering » qui fonctionnent selon un système de troc : chaque opérateur de transit pair (« peer ») échange des flux de données gratuitement avec d’autres pairs pour donner accès à ses clients. Parmi les opérateurs de transit on distingue les « Tiers 1 », opérateurs de premier rang qui peuvent se connecter à l’ensemble du web via leurs clients ou via leurs pairs, sans acheter de prestation de transit.
La plainte de Cogent contre France Télécom :
Cogent, est un opérateur de transit Tier 1. Le groupe France Télécom exerce quant à lui deux activités concernées dans la présente affaire : une activité de FAI à travers Orange et une activité d’opérateur de transit à travers ses offres « Open transit ». Cette deuxième activité résulte de la volonté de France Télécom de mettre en place des interconnexions directes dans le monde entier en limitant le recours à des intermédiaires et en recourant à son propre réseau international.
Dans cette affaire, Cogent reproche à France Télécom de remettre en cause le système de troc existant entre opérateurs de transit au travers des accords de peering. Cogent dénonce à titre principal le refus de France Télécom d’ouvrir gratuitement de nouvelles capacités d’interconnexion pour connecter ses clients PSI aux abonnés Orange. Il faut signaler qu’à l’époque des faits, le site de vidéos MegaUpload – qui a été depuis fermé par la justice américaine – était client de Cogent et envoyait aux abonnés d’Orange via Cogent un trafic très significatif et très déséquilibré par rapport au trafic allant en sens inverse. C’est dans ce contexte que France Télécom a souhaité être rémunéré pour l’ouverture de nouvelles capacités d’interconnexion.
Le 10 mai 2011, Cogent a saisi l’Autorité de la concurrence de ces pratiques, qu’elle estime tomber sous le coup d’un abus de position dominante.
Les préoccupations de concurrence exprimées par les services d’instruction :
Lors de l’instruction, des questionnaires détaillés ont été adressés aux FAI français, aux principaux PSI français et surtout internationaux ainsi qu’aux opérateurs de transit internationaux. Les réponses à ces questionnaires ont été analysées. Les contrats, contenant les prix et permettant de comprendre les pratiques du secteur, ont particulièrement été étudiés. De nombreux intervenants ont été auditionnés.
C’est sur la base de cette instruction que le rapporteur a fait connaître à France Télécom son évaluation préliminaire des pratiques en cause, par un procès-verbal d’audition établi le 7 mars 2012. Cette évaluation est synthétisée ci-après.
La position de France Télécom sur le marché :
A ce stade de l’instruction et sans préjudice d’une analyse plus poussée, Orange apparaît susceptible de détenir une position dominante sur le marché des offres d’accès direct ou indirect aux abonnés français du fournisseur d’accès à Internet Orange.
Ce marché recouvre l’ensemble des offres spécifiques d’accès aux abonnés d’Orange, qui répondent à la demande de certains PSI qui, pour des raisons d’optimisation technique ou économique, souhaitent limiter les intermédiaires et contrôler l’acheminement des données en direction des abonnés d’Orange. Ces offres peuvent être fournies par le groupe France Télécom lui-même ou par des opérateurs de transit interconnectés avec France Télécom. Dans ce deuxième cas, il s’agit cependant d’une prestation de transit « ciblée », limitée au trafic échangé avec les abonnés d’Orange, et non d’une prestation de transit « universel » permettant de se connecter au web mondial.
Si France Télécom détient un monopole technique sur ce marché, puisque les données échangées avec ses abonnés passent nécessairement par son réseau national, il n’y a pas monopole sur la commercialisation puisque d’autres opérateurs de transit peuvent servir le marché. En pratique cependant, les éléments du dossier montrent que France Télécom maîtrise une large part du trafic, que la capacité d’intervention des concurrents sur le marché est limitée par les termes des accords de peering qu’ils ont signés avec France Télécom du fait de la situation d’intégration verticale entre Orange et Open Transit, enfin que les contre-pouvoirs des acheteurs sont limités à l’exception d’une poignée de PSI particulièrement puissants.
Les pratiques dénoncées par Cogent :
Pour l’essentiel, les pratiques dénoncées par Cogent n’ont pas pu être établies à ce stade de l’instruction ou ne sont pas apparues susceptibles de constituer une infraction aux règles de concurrence. Ainsi France Télécom n’a pas refusé l’accès de Cogent à ses abonnés mais à demandé une rémunération pour l’ouverture de nouvelles capacités. Or, d’une part, cette situation apparaît conforme à la politique de peering établie par France Télécom à l’égard de ses pairs, en vertu de laquelle le dépassement de certains ratios entre le trafic entrant et le trafic sortant peut donner lieu à facturation. D’autre part, le caractère atypique, à la fois significatif et fortement asymétrique, du trafic échangé entre le site MegaUpload et les abonnés d’Orange à l’époque des faits, était de nature à induire des surcoûts pour France Télécom au niveau de son réseau national, de sorte que l’établissement d’une facturation n’était pas illégitime en elle-même.
L’instruction a cependant mis en évidence que France Télécom fournit à un PSI que l’on désignera « X », et qui est un des sites les plus populaires auprès des internautes et générant un trafic très important, une prestation d’accès aux abonnés d’Orange par le biais d’Open Transit à un prix qui apparaît sensiblement inférieur aux pratiques du marché. Sans préjudice d’un examen plus approfondi, il pourrait en résulter, au regard de la politique de peering de France Télécom, un effet de ciseau tarifaire pour un opérateur de transit concurrent souhaitant répondre à la demande de X d’accéder aux abonnés d’Orange. En outre, le prix plus attractif facturé au client X est susceptible de favoriser l’activité de cet acteur sur le marché aval sur lequel il est actif et donc de rendre la concurrence moins équitable sur ce marché.
Les éléments du dossier tendent à indiquer que cette situation résulte d’un fort pouvoir de négociation du client X. S’il ne saurait donc en être fait reproche à France Télécom, cette situation souligne plus généralement l’opacité des relations entre Orange et Open Transit. L’absence de formalisation des échanges internes au groupe France Télécom entre ces deux entités rend difficile le contrôle d’éventuelles pratiques de ciseau tarifaire ou même de discrimination et rend par conséquent plus facile la mise en œuvre de telles pratiques.
Les engagements proposés par France Télécom :
Le 27 mars 2012, France Télécom a proposé des engagements pour répondre aux préoccupations de concurrence exprimées par les services d’instruction.
Engagement n°1 : formalisation d’un protocole interne
France Télécom s’engage à formaliser un protocole interne entre Orange et Open Transit, décrivant les conditions techniques, opérationnelles et financières applicables à la fourniture de services de connectivité France.
France Télécom propose notamment de mettre en place une valorisation des flux d’Open Transit vers Orange en cas de dépassement d’un ratio entre trafic entrant et trafic sortant.
Engagement n°2 : suivi du protocole interne
France Télécom s’engage à mettre en place un suivi de la mise en œuvre du protocole interne entre Open Transit et Orange prévu par le premier engagement.
Si ces engagements sont jugés de nature à répondre aux préoccupations de concurrence exprimées dans le cadre de la procédure, l’Autorité de la concurrence, constatant qu’il n’y a plus lieu d’agir, procèdera à la clôture de l’affaire, en prenant acte des engagements qui prendront alors un caractère obligatoire.
Source : Autorité de la concurrence
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